Traité théologico-politique
Baruch SpinozaLE Traité théologico-politique, qui devait soulever tant de tempêtes, parut pour la première fois, en latin, à Amsterdam, dans l'année 1670, sept ans après les Principes de Descartes. Il était publié sans nom d'auteur, et celui de l'imprimeur, ainsi que la désignation du lieu où l'ouvrage avait été imprimé, y étaient déguisés .
Pourquoi ces précautions ? D'où venait cet excès de prudence ? Qui commandait ces allures inquiètes et mystérieuses ? Ne vivait-on donc plus dans la libre Hollande, dans cette petite mais fière République, seul asile de la pensée, unique refuge des esprits indépendants, au milieu de la tyrannie universelle qui, sous le grand Roi, écrasait toute l'Europe ? Ou bien, comme l'ont insinué doucereusement certains phraséologues éclectiques, tout heureux de se rencontrer sur ce terrain avec les pieux apologistes de l'Inquisition, le courage aurait-il manqué à l'auteur du Traité théologico-politique, pour divulguer ouvertement sa manière de voir ?
Ne vous en déplaise, illustres coryphées du clair-obscur, et n'en déplaise aussi à vos bons amis, les honnêtes sectateurs de Loyola, l'homme que son hôte fut obligé d'enfermer, après l'abominable massacre des frères de Witt, pour l'empêcher d'aller placarder sur la place publique, au milieu d'une foule en délire, cette affiche vengeresse, ultimi barbarorum ; celui-là ne manquait pas précisément de bravoure, et l'intrépidité morale ne lui était pas absolument étrangère. Et, d'ailleurs, jamais ce grand homme ne renia un seul instant la paternité de son œuvre. Toutes ses correspondances font foi, au contraire , qu'il reconnut toujours hautement le Traité théologico-politique comme le fruit de ses veilles et le résultat de ses méditations. La crainte de compromettre le courageux imprimeur qui mettait si généreusement ses presses au service des idées nouvelles, fut vraisemblablement le principal, sinon le seul motif, qui détermina l'illustre philosophe à agir avec cette circonspection.